Informations
Tout se meut et se métamorphose avec vélocité. Il en va de même avec le dictionnaire organique que Jean-Luc Moerman (né à Bruxelles en 1967) a réalisé pour sa quatrième exposition personnelle à la galerie Nosbaum & Reding. La ligne tentaculaire de Moerman y réapparaît, chargée d’une conscience renouvelée par les rituels du geste et des symboles qu’il associe à des pratiques calligraphiques venues de Chine, du Japon et de Corée où il réalise actuellement de nombreux projets in situ.
Chez Jean-Luc Moerman, le dessin s´inscrit sur les murs des temples et la peau des divinités postmodernes. Le pouls du monde y bat à l´infini, recréant des formes que le trait module ou accentue au gré des supports : le corps des villes et des édifices, la chair des hommes et des femmes que l´on frôle tous les jours, la presse papier et les médias ou un étalement de dollars.
Les couleurs et les formes en transparence confèrent un effet de vitraux relayant les espaces extérieurs et intérieurs de la galerie. Celle-ci s’ouvre sur un corps de peintures récentes (acrylique sur aluminium) dont les motifs noirs et blancs se succèdent pour en souligner le périmètre.
On pourrait dire que la "ligne moermanienne" fait corps avec la chair. Elle marque le porche des temples de l´art et de la culture de ses formes biomorphiques. Comme à l’entrée des refuges de Lascaux ou d’Altamira. Ou sur les corps des Vénus que l’on trouve dans les magazines, ou sur les images glacées et « chargées* » de la starification des Obama et autres chevaliers des temps modernes. Les lignes et aplats de Moerman redessinent avec l´affirmation d´un geste primitif, presque tribal, le refus d´un monde vécu sans dessein. La ligne et la couleur qui font sa marque distinctive exhibent une pratique immémoriale du monde.
Ces marquages tribaux et ces idéogrammes soulignent l´appartenance au clan. Ils réapparaissent ici telles de nouvelles « techniques du corps et de soi » qui renvoient à une humanité qui fait corps-avec-le-monde.
Les tableaux de maîtres anciens, les portraits et icônes tatoués - le Christ en croix, Bob Marley ou Bruce Lee - sont des messagers ou prophètes qu´il dépeint et repeint avec cette volonté primitive à laquelle il revient inlassablement. Cette réappropriation des images qui font l´histoire visuelle est la même lorsqu´il intervient sur les pages de calendriers ou les clichés de Klimt et de Warhol, legs universels de l´art à tous.
Les murs de la salle du fond de la galerie sont entièrement recouverts de dollars, figures et visages usés par les transactions, métamorphosés de son trait noir. Altérés à l´encre, les billets verts, mesure-étalon de la santé monétaire mondiale, que le yuan n’a aujourd´hui plus rien à envier, couvrent les murs comme un simple papier peint dont la valeur esthétique, symbolique et sociale est désormais soumise à l´appréciation du spectateur.
Un Christ en porcelaine règne sous la forme d´une batte de base-ball. On ne sait s´il porte la bonne nouvelle ou met en garde contre le fléau qui se propage au rythme accéléré des aléas de la bourse.
L’écriture « chargée » de Moerman rappelle la mémoire des origines, la genèse du monde actuel à laquelle il convie par son trait à la surface des vitres, du métal ou du papier avec une technique capable d´envoûter sans détours.
* Terme moermanien: faisant référence à la charge symbolique des images, architectures, constructions chargées du sens et des rites que les hommes ont créés.
H. Bastenier