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C?est curieux : un double mouvement de succion et de propulsion a lieu dans la peinture de Grégory Durviaux. Ces mots ont une sourde charge érotique, le lecteur troublé le percevra aussitôt : couvrez ce sein que je ne saurais voir? Or, dissipons cette gêne et réjouissons-nous car le but en peinture n?est finalement jamais de développer une esthétique mais bien une érotique. Et voilà une érotique à l??uvre dans les tableaux de Grégory Durviaux, opérant par succion et propulsion. Quelque chose vous aimante, absorbe presque votre sang. Et ensuite a lieu une ouverture brusque de la focale, une dilatation qui élargit la perspective d?un coup de rein, donnant à l?image que vous contemplez une plus grande dimension.
C?est curieux : il y a une dynamique philosophique dans la peinture de Grégory Durviaux. Rappelons qu?il s?agit de sa brève formation d?origine. Il a suivi deux années de philosophie à l?Université Libre de Bruxelles avant de poursuivre son cursus à l?Ecole de Recherche Graphique sous les auspices de Marcel Berlanger. Si ces années ont été brèves, si elles sont déjà lointaines, il faut cependant y revenir. Non pas pour voir dans les travaux récents des déductions d?école mais plutôt pour bien se souvenir de leur cadre d?éclosion. Du reste, on ne choisit pas sa formation, c?est elle qui vous choisit. Si Durviaux est venu à la philosophie puis à l?Erg, c?est que cela devait advenir. C?était marqué dans son ADN. Et que voit-on dans cet ADN ? On observe que l?artiste procède par thèse et antithèse : il nous propose souvent une image et son contraire, un avant-plan et un arrière-plan, psychiquement mêlés. La peinture comme la philosophie est le lieu où des contraires sont négociés.
Quant à l?Erg, il faut rappeler qu?il s?agit d?une école qui fut fondée sur une adhésion enthousiaste à l?art conceptuel et à la pluridisciplinarité. Or, ces virages artistiques n?ont pas été faciles à négocier pour les peintres. Comment faire image sans image, sans matière ? Comment faire de la peinture en regard de la photographie, de la publicité ? Telles ont été les questions des artistes dans les années quatre-vingt, après l?éclosion de l?art conceptuel donc, quand il s?agissait d?en déduire les conséquences. Durviaux, dans la tension qu?il installe entre peinture et non-peinture (son goût par exemple pour le travail au pistolet, pour le support métallique, pour la source photographique indifférenciée) hérite de ces problématiques. Il se trouve dans le sillage de l?appropriationnisme, et de l?après pop art. Evidemment une figure vient automatiquement à l?esprit à cause de la façon dont on a médiatisé son ?uvre avant de l?inscrire de facto dans l?histoire de l?art : celle de Christopher Wool, un artiste américain.
C?est curieux : Durviaux est l?auteur d?une peinture américaine impossible. Elle véhicule un fantasme d?Amérique qui ne saurait s?accomplir car l?artiste est d?origine belge et a vécu par ailleurs longtemps au Luxembourg. Ce sont en vérité ces univers-là que l?on devine en filigrane de ses images : les forêts de conifères, les plaines agricoles et bien sûr les autoroutes omniprésentes dans nos régions. C?est cela notre Far West qui obéit à une logique intérieure toute différente de l?original. Nous murmurons chez nous une mélopée symboliste. Spilliaert, peintre symboliste belge, a d?ailleurs consacré la fin de sa vie à peindre des sous-bois en Ardennes après avoir quitté les brumes d?Ostende.
Cependant, cette impossibilité d?être américain ne doit pas être considérée d?une façon péjorative. Durviaux est loin d?être le seul dans son cas (songeons seulement à Koen van den Broek ou à Tina Gillen, autre peintre du Luxembourg exprimant de mêmes symptômes). Il s?agit au contraire d?une nouvelle donne, propre à la génération actuelle d?artistes car origines et onirismes, à présent, se métissent. L?art et les existences s?internationalisent. On voyage, on rêve de vivre ici ou là. On voit tant et tant de choses. On naît à toutes ces choses. On est dans la légère inquiétude, la légère excitation d?être ici et là-bas, de rester (d?aimer ?) et de fuir en même temps, d?avoir la possibilité matérielle de tout quitter, ne serait-ce qu?en pensée?
C?est curieux : le calme vient après la tempête. On ne parlera pas de l??il du cyclone, car une fois encore, il n?y a pas de cyclone dans nos contrées. Il y a plutôt des ondées, et des sous-bois où s?abriter, des pique-niques impromptus à organiser, des herbes hautes dans lesquelles se coucher. Ultimement, les tableaux de Durviaux sont des refuges, où l?on attend que viennent la synthèse philosophique, la fin de l?orage, la fin des indécisions, la fin des oppositions trop simples entre les peuples, les identités ? soit le début de la nuance. C?est curieux : on peut là se reposer.
Yoann Van Parys
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Vernissage, jeudi 16 juin à 18h, en présence de l'artiste